Mesdames et Messieurs les Conseillers fédéraux,
A la base de toute activité indépendante, il y a une prise de risque : celle d’avoir, ou non, des clients.
Ce qui fait des indépendants des entrepreneurs qui participent au fonctionnement de notre réseau économique.
L’incertitude quant au nombre de mandats qu’on aura fait donc partie du jeu. Cependant, à la différence de la plupart des professions indépendantes, celle de restaurateur ajoute une incertitude de plus : hormis les situations relativement exceptionnelles de réservations prévues d’avance, en lien avec des événements dont la date est fixée longtemps à l’avance, tel Pâques, une première communion, les 70 ans de la tante Jeanne, etc., chaque matin, le restaurateur ignore combien de clients passeront la porte de son établissement pendant la journée.
Il doit donc prévoir, et prévoir dans l’incertitude, et c’est sa faculté à faire coexister prévisions sur la fréquentation potentielle du jour et offres qui prédit le mieux de la durée de vie de son établissement. Combien de menus ? Combien de plats ? Combien de préparations d’avance pour pouvoir réaliser ces plats dans le laps de temps le plus court possible ? Combien de personnel ?
Mesdames, Messieurs les Conseillers fédéraux, au sein de votre collège, plusieurs d’entre vous ont été indépendants avant d’être Conseillers fédéraux. Vous nous rappelez, à chaque annonce, que vos décisions sont pris en toute collégialité.
J’invite donc ceux/celles d’entre vous qui savent ce que c’est que d’être entrepreneur, et particulièrement Madame Viola Amherd, femme et Valaisanne, citoyenne d’un canton pour lequel le tourisme, et donc la restauration, est primordial, à rappeler à votre collège qu’à l’impossible nul n’est tenu. Je vous remercie d’avance de renconcer à la proposition de n’ouvrir que les terrasses des restaurants, lors de leur réouverture prochaine. Cette proposition est irréaliste et nuisible pour toute la branche car, à l’imprévisibilité inhérente à la profession de restaurateur, elle ajoute encore l’imprévisibilité de la météo. Si cette proposition, motivée par des raisons sanitaires, a un sens dans ce domaine-là, en revanche, du point de vue de la restauration, elle ne peut être considérée que comme farfelue, car totalement décollée de la réalité de la profession.
Je suis très attristée par le manque de considération, qui va en s’aggravant, accordé à ce métier de contact et il est bon de rappeler qu’on ne travaille pas uniquement pour gagner sa vie, mais également pour réaliser ses aspirations et mettre en action ses dons, ce qui donne un sens à sa vie. Celui-ci commence à manquer quand toute une branche est réduite à l’inactivité ou à une activité encadrée par des mesures irréalistes et qui nous entravent. A l’opposé du burn-out, le bore-out est un terme utilisé pour qualifier une situation dans laquelle on se trouve au travail, mais sans travail, tout en étant payé, et où le psychisme souffre d’un manque de stimulation par manque d’activité ou d’activité qui fait sens. C’est ce que vivent les restaurateurs depuis bientôt un an, répétitivement, à la différence qu’eux, à ces moment-là, ne sont pas payés. A ce sujet, merci d’avance de parler d’indemnités compensatoires plutôt que d’aides, ce qui a tendance à nous faire sentir et à nous faire passer pour des assistés. Au moment même où notre droit de travailler est entravé naît le droit à des indemnités compensatoires et celles-ci, en aucun cas, ne sont des « aides » ni ne sont à la hauteur de notre manque à gagner qui a impacté toute l’année écoulée.
Nous vous accueillerons volontiers, Mesdames et Messieurs les Conseillers fédéraux, dans nos restaurants, dès qu’ils réouvriront, à l’intérieur s’il fait frais ou à l’extérieur s’il fait beau et si vous le désirez, mais de grâce, cessez de nous soumettre à des mesures intenables, nous sommes réellement au bout du rouleau.
Isabelle Vuistiner-Zuber, thérapeute, praticienne de santé, auteure et… épouse de restaurateur
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